Saint Georges et le dragon

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La statue de saint Georges à la chapelle de Corminboeuf montre davantage un bonhomme joufflu qu’un soldat héroïque et le dragon à ses pieds paraît finalement assez peu dangereux. Il est petit de taille. Seules ses dents démesurées font réellement peur. L’artiste a-t-il raté son ouvrage ? Pas forcément. Il donne aussi un nouvel éclairage sur la signification des tueurs de dragon.

De saint Georges, on sait à la fois beaucoup de choses et presque rien. La légende s’est emparée de sa vie. Historiquement c’était peut-être un martyr de Palestine, vénéré à Lydda, tout près de l’actuel aéroport international David-Ben-Gourion, qui accueille les pèlerins de Jérusalem ! Dans la légende chrétienne en revanche, Georges est le chevalier tueur de dragon, le modèle du soldat chrétien, un exemple de courage et d’abnégation.

En fait, saint Georges n’est pas le seul à avoir affronté un dragon. Bien au contraire, la catégorie des saints sauroctones (en grec = tueurs de lézards) est énorme. On pourrait en citer des dizaines, Citons l’archange saint Michel, ou sainte Marguerite d’Antioche, ou sainte Marthe, victorieuse de la Tarasque de Tarascon, en Provence. Chez nous, saint Béat se contenta de chasser un gros lézard dans le lac de Thoune pour occuper son antre. Le motif du tueur de dragon se retrouve dans beaucoup de cultures, la mythologie grecque notamment. Ce n’est pas un bien propre du christianisme.

Relevons trois caractéristiques du saint sauroctone.

Le dragon est connoté négativement. Il peut ainsi désigner le paganisme, par opposition au christianisme. Le saint qui tue le dragon montre la victoire de la foi chrétienne sur la superstition païenne. Située en Lybie dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, la victoire de Georges sur le dragon conduit à la conversion des habitants de la ville et au baptême, et non au mariage de Georges avec la princesse qu’il avait délivré du méchant dragon. Ce motif est très proche des hagiographies où un moine, un ermite apprivoise un fauve, un ours notamment (cf. chez nous la vie des ermites saint Gall et saint Ursanne). Le christianisme est plus fort que le paganisme, puisque le saint est capable de tuer un dragon ou d’apprivoiser un fauve, symboles du paganisme.

Proche de l’opposition christianisme-paganisme, un autre thème est évoqué par l’action du saint sauroctone : la victoire du bien sur le mal. Si le livre de l’Apocalypse présente le combat de Michel contre le « grand dragon rouge-feu », « l’antique serpent » (Ap 12,3.9) comme la victoire du Christ sur ses adversaires, l’application qu’on en fait est d’ordre moral. Saint Michel est vu comme un protecteur contre les forces du mal, les suggestions au péché. Telle est le sens d’une célèbre prière chrétienne, Sancte Michael archangele, defende nos in proelio : « Saint Michel Archange, défendez-nous dans le combat et soyez notre protecteur contre la méchanceté et les embûches du démon. Que Dieu exerce sur lui son empire, nous vous en supplions ; et vous, Prince de la Milice céleste, par le pouvoir divin qui vous a été confié, précipitez au fond des enfers Satan et les autres esprits mauvais qui parcourent le monde pour la perte des âmes. Amen. »

Enfin, un troisième élément est à relever dans le combat du saint contre le dragon. Le saurien ne symboliserait pas forcément quelque chose de négatif, mais plutôt quelque chose de dangereux. Il n’est pas oiseux de songer que le dragon habite des endroits isolés, en pleine nature. Le dragon, d’une certaine manière, est la personnification des forces naturelles destructrices (feu, orage, tempête, etc.). Cette thématique est ancienne, antérieure au christianisme. Le combat d’un dieu ou d’un envoyé de dieu (un saint) montre que les forces naturelles peuvent être domestiquées, contrôlées. A ce sujet l’étymologie nous vient en aide. En effet, Georges veut dire en grec le paysan, celui qui travaille la terre ( = terre ; ergon = travail) ! On retrouve cette idée dans une œuvre du poète latin Virgile appelée les Géorgiques (= les travaux de la terre).

Finalement, il n’a pas été si gauche que cela, l’artiste qui représente à Corminboeuf un saint Georges au visage joufflu et à la panse rebondie. Le saint sauroctone n’est pas forcément le modèle du guerrier athlétique tuant l’ennemi dans un combat d’une violence inouïe. C’est aussi le modèle de celui qui, dans les travaux et les jours du quotidien, peut canaliser les forces, les passions et les idées de toutes sortes qui se trouvent en lui. Comme un paysan travaille la terre, il peut, avec l’aide du Seigneur, transformer sa vie afin qu’elle soit une offrande agréable à Dieu.

Saint Georges et le dragon